J’aimerais vous partager mon expérience, ma première urgence en vol : une panne moteur avec hélice arrêtée @2200 pieds au-dessus du fleuve. Peut-être que cela peut aider d’autres pilotes : on apprend des bons coups et erreurs des autres.
Pour le contexte, je suis un jeune pilote PPL depuis bientôt 3 ans (annotation nuit, OTT & 20hrs instruments), j’ai 325 heures à mon actif, principalement faits sur un Diamond DA40 glass cockpit que j’ai le privilège de voler régulièrement. En mai passé, j’ai eu la belle opportunité de commencer à voler un ultraléger Pipistrel Virus SW, glass cockpit avec d’excellentes performances grâce à son poids léger et son moteur Rotax 912iS. C’est avec cette appareil que l’urgence s’est produite.

Dimanche dernier:
Après un beau vol sans incident samedi pm et je suis repartie dimanche en solo de Neuville (CNV9) pour survoler le mont St-Anne et possiblement Charlevoix. Comme l’avion carbure à l’essence super sans plomb j’ai ajouté 20 litres avant mon vol, pour total de 35-45litres total. L’avion consomme généralement entre 10 et 20 litres à l’heure selon performance (il est très économique, approx 7 litres au 100km). Bref je partais dimanche avec une autonomie de vol de 2-3 heures selon performance.
Les 40 premières minutes de mon vol se sont très bien passées sans incident. Et puis, soudainement en palier @ 5500 pieds un peu avant la Malbaie dans Charlevoix ma lumière Warning (pression d’essence) allume et le moteur commence à couper. Je devine un manque d’essence sur le champ et j’allume la deuxième pompe à essence et je change de réservoir ce qui éteint la lumière d’urgence (je ferme alors la pompe à essence). Je réalise que mon réservoir gauche semble vide ce qui m’étonne beaucoup car je pensais avoir encore 10-15 litres. Je fais un test de rechanger le réservoir sur le gauche et l’alarme revient alors je rechange et laisse sur le droit. J’ai 15 litres restant dans le droit ce qui correspond plus ou moins à ce à quoi je m’attendais.
Bien qu’en rétrospective c’est évident que j’aurai dû me poser la question de savoir pourquoi mon réservoir est vide puisque je les vérifie régulièrement et que mon avertisseur de changer de réservoir est aux 15 min. Mais c’est beaucoup plus facile à dire en rétrospective que sur le moment. J’ai quand même pris la décision de rebrousser chemin avec un cap direct Neuville. Une odeur d’essence dans l’avion m’a aussi aidé à prendre la décision mais comme c’est courant d’avoir une légère odeur d’essence je ne suspectais aucunement un problème à ce moment. J’ai pris une décision par précaution mais je jugeais avoir encore 1,5 hre d’autonomie et Neuville était à 30 min à vitesse de croisière.
Je commence cependant à faire mes vérifications plus en détails et réduit ma vitesse et donc la consommation. Chaque réservoir d’essence, situé dans les ailes, est équipé d’un tube transparent qui donne une indication qui n’est pas la plus précise et qui varie selon l’inclinaison de l’avion.
5 min plus tard je conclus que j’ai au minimum une heure d’autonomie restante et selon mon GPS Neuville est à 40 min de vol, sur le coup ça me satisfait. Je continue quand même de vérifier et regarde mes options dont l’aéroport de Montmagny à 9 min de vol de ma position. Je regarde mon niveau d’essence et j’ai l’impression d’avoir perdu 1-2 litres… je me rappelle de m’être dit : « dans le pire des cas si je ne me rends pas à Neuville j’atterrirai à Québec ». C’est à ce moment précis que j’ai cliqué. J’ai alors réalisé la stupidité de ma pensé, si j’hésite et ne pense pas me rendre à Neuville, les chances de me rendre à un aéroport situé seulement 3 min plus proche n’est pas un choix logique. Je change donc de cap pour Montmagny et contacte la fréquence et Unicom pour annoncer mon arrivée. Je ne pense toujours pas avoir de problème avec l’avion bien que je me pose de sérieuses questions afin de comprendre pourquoi je n’ai pas l’essence que je devrais avoir. J’en profite pour demande à l’Unicom s’ils ont de l’essence ou la possibilité d’en avoir. Durant les échanges et au début de ma traversée du fleuve je réalise que mon niveau d’essence restante est à 5 litres et moins. Il s’est passé 10 min entre mon 180 degré et ce moment, impossible d’avoir consommé 10 litres en 10 min.
C’est à ce moment que je conclu que j’ai un problème avec l’avion. Mais je demeure convaincu de pouvoir me rendre à Montmagny qui est approximativement à 5-7 NM de ma position. L’Unicom me demande si elle doit appeler le gars pour le service d’essence. C’est alors que je l’informe « tout bonnement » ne pas être certain de me rendre et que je vais prioriser de me rendre et on verra pour l’essence après, que ce n’est pas une priorité à ce moment-ci pour moi. Malgré la situation je ne me considérais pas en situation de grande urgence comme mon moteur tournait et qu’aucun warning n’était allumé. L’essence semblait juste se vider rapidement. Mais mon fuel flow était et a toujours été normal. J’étais même en consommation minium à 8 litres à l’heure. Par précaution j’ai quand même syntonisé la fréquence du terminal de Québec en back up sur ma radio « au cas ». Mais je ne sentais pas le besoin de « déranger » le terminal ou l’Unicom avec aucun warning ou problème précis à bord.
Mais l’essence a continué à se vider rapidement. Le 5 à 1 litres est BEAUCOUP plus stressant que le 15 à 5 litres. J’ai alors réalisé que Montmagny n’était plus certain comme destination. J’avais comme plan B (ou C ou D) l’aéroport de l’Îles aux Grues à mi-chemin que j’avais en visuel. Je n’avais jamais atterri à l’ile aux Grues et ma seule connaissance remonte à mes cours théoriques où l’on nous a dit de ne jamais y atterrir en formation comme c’est une très petite piste d’atterrissage. J’ai quand même eu un sourire en coin quand cette pensés m’est venue à l’esprit en décidant de prendre cap pour l’Îles aux Grues.
J’ai donc l’île en visuel mais pas l’aéroport et l’Unicom de l’îles me répond pour m’aider à le trouver. Pendant ce temps, je m’efforce de garder le plus possible mon altitude en prenant un léger taux de décente pour réduire ma consommation au minimum. Je réponds alors à l’Unicom pour dire que j’ai finalement la piste en vue et à mon bonheur elle est même plus proche que je ne le pensais. C’est aussi lors de cette communication que ma lumière de warning se rallume indiquant que le moteur va manquer d’essence dans les secondes qui suit… J’avise donc dans ma communication que je vais fort probablement tomber en panne dans les instants qui suivent. Comme de fait, quelques secondes par la suite mon moteur s’arrête complément en vol…
Je suis encore très stressé juste à écrire ce texte… Je pense que je vais me rappeler toute ma vie de l’image de mon hélice arrêtée en plein vol à 2200 pied… Toute ma jeune vie de pilote j’ai toujours pensé et analysé plein de scénarios de panne moteur. À chaque vol, je me demande toujours dans quel champ j’atterri si jamais j’ai une urgence. Dans tous les vidéos en ligne de rapports d’incidents (que j’écoutais encore la veille) j’essaie de m’imaginer ce que je ferais dans la même position… Mais il n’y a rien comme de vivre une vrai panne moteur en plein vol, au-dessus du fleuve…
Je sais bien que j’étais en urgence avant ce moment-là. Mais dans ma tête : là, j’étais CLAIREMENT en urgence! J’ai senti l’adrénaline monter mais j’ai su rester calme et j’ai géré la situation exactement comme mes instructeurs me l’ont appris. J’étais à 2200 pieds, la piste était à 3 NM, j’ai un appareil avec un des meilleurs ratios de planage et j’ai la piste en vue que je sais je peux me rendre. J’ai fait plusieurs pratiques d’urgence avec cet appareil et le Diamond mais je n’ai fait qu’une seule pratique de piste (vs champ) et lors de cette pratique je n’avais pas fait la piste, j’avais trop ralenti et j’avais dû remettre les gaz. Ce qui n’est évidemment pas une option aujourd’hui.
J’avise l’Unicom que mon moteur est arrêté et que j’entre direct (ou en urgence) à l’Îles aux Grues et demande l’élévation de la piste comme je n’ai pas trop le temps de la chercher. Je me mets en vitesse de planage de 66 kts. Je suis alors « en base » (perpendiculaire) pour ma piste et me prépare à virer en final. Un trafic sur la fréquence me répond pour l’élévation (49 pieds) et j’en profite pour lui demander la longueur de la piste qu’il vérifie dans le CFS et me revient par la suite : 1 600pieds… la moitié de Neuville qui est déjà une petite piste. J’en profite pour dire que j’ai vraiment senti un très grand support de la part des deux Unicom ainsi que du trafic (que j’aimerais bien remercier). Ils ont compris mon urgence et étaient là pour me supporter.
Mon problème maintenant n’est plus de me rendre à la piste, mais de réussir à m’y arrêter. Mon focus pour l’atterrissage était d’être plus haut que bas. Je préfère effectivement finir au fond de la piste plutôt que de ne pas la faire. Et je n’oublie surtout pas que j’ai des aérofreins sur cet avion.
C’est difficile d’expliquer les 4-5 minutes entre la panne moteur et mon atterrissage. En fait, avec toute l’adrénaline ça été un flash dans ma tête. Je me rappelle avoir mis mon premier cran de volet au bon moment et surtout d’avoir mis beaucoup d’aérofreins pour finalement réussir un de mes meilleurs atterrissages avec cet avion et même finir un 100-200 pieds avant la fin de la piste, sans aucun dommage à moi et aucun dommage à l’avion.
Une fois l’avion immobilisé et le frein à bras bien enclenché, j’ai tout d’un coup ressenti tout le stress de l’expérience et j’ai pris une ou deux minutes pour commencer à réaliser ce qui venait d’arriver (ce que je n’arrive toujours pas à faire complètement) et être content des résultats. J’ai beaucoup de difficulté à réaliser car dans ma tête j’ai simplement eu un trouble et j’ai suivi les instructions qu’on m’a données lors de ma formation, ce qui a donné le résultat prévu. Donc tout est bien qui finit bien!
Il est bien certain que l’expérience aurait pu se terminer autrement. Mais cela n’a pas été le cas. Je ne suis pas trop du genre pessimiste mais plus réaliste. C’est certain qu’avec une petite recherche Google on peut trouver une horrible expérience survenue à cet aéroport il y a quelques années. Mais chaque situation est différente et a son contexte propre. Je ne parle pas de chance. Selon moi, c’est l’instruction que j’ai reçue qui a fait la différence. Le reste ne sont que des statistiques et probabilités, bien heureux d’être du côté des statistiques positives.
Bien que je l’ai déjà fait personnellement, je tiens à remercier tous mes instructeurs dont Samy et René qui sont responsables du « succès » que j’ai eu lors de cette urgence. Tout comme Brigitte et Marie-France des Unicom de Montmagny et de l’Iles aux Grues.
Je suis ouvert aux critiques constructives. En tant que pilote je pense qu’on est toujours en mode apprentissage. J’y vais en premier : -j’aurais vraiment dû déclarer officiellement une urgence au terminal de Qc le plus tôt possible. En fait, j’aurais dû déclarer un PanPanPan dès que je suspectais quelque chose. - Une fois que le moteur ait coupé, j’ai fait peu de chose de ma procédure d’urgence pourtant bien apprise. - Je n’ai pas activé mon ELT. - Je n’ai pas changé mon transpondeur 7700. - Je n’ai pas essayé de repartir le moteur… À ma défense, j’ai focussé sur la nécessité première de faire voler l’avion et de faire la piste que j’avais en vue avec le peu de temps que j’avais. Aussi je doute fort que le moteur serait parti sans essence…
Bref c’est mon histoire de dimanche dernier. Je me sens privilégié d’avoir pu vivre l’expérience avec une conclusion positive. C’est définitivement un apprentissage qui va m’aider. Ça ne me fait aucunement peur de revoler. Au contraire j’ai une expérience de plus qui va m’aider dans le futur.
Pour le problème avec l’avion, il est encore à diagnostiquer mais il y avait deux flaques d’essence sur la piste à ma sortie de l’avion. Donc la théorie d’une fuite tient la route pour le moment. Merci à NavCanada qui m’ont donnée mes coordonnés GPS et altitude après les faits. J’ai maintenant bien hâte de télécharger les données de mon glasscockpit (Dynon Skyview) pour tous les détails.
Et la meilleur dans tout ça, en remorquant à bras mon avion dans le stationnement de l’Îles aux Grues je vois un autre avion stationné tout près. C’est le Diamond DA 40, l’autre avion que je vole. Par pur hasard un autre pilote l’avait loué pour visiter l’Îles aux grues, donc non seulement je m’en sors idem et l’avion aussi, mais j’ai même eu droit au lift de retour en avion à mon point de départ !!!
Quelques jours après cet incident.
Je vous confirme d’abord que l’avion (Pipistrel Virus SW) est de retour au bercail à Neuville (CNV9). Quant à la cause de la fuite d’essence, elle a été clairement établie. En fait, la fuite est survenue dans le compartiment moteur, à la jonction d’une conduite d’essence et du filtre à essence principal. À cet endroit, le collet qui retient la conduite était intact, mais la conduite était partiellement « coupée » tout juste en amont du collet. À cet endroit, le bout du tuyau, l’enveloppe protectrice ainsi que le caoutchouc protecteur semblent tous avoir été usés / brisé prématurément. (voir photos)
Le problème semble avoir été à la fois exceptionnel et très ponctuel. Tous les autres tuyaux du circuit d’essence ainsi que leurs connexions ont été depuis méticuleusement vérifiés et se sont tous révélés en bon état.
Même si la fuite était bien réelle et même très substantielle, tout est revenu à la normale une fois que le tuyau fautif ait été remplacé. J’ai même pu ramener l’avion à Neuville sans aucun incident ou autre signal alarmant.
Je n’ai pas encore d’explication formelle quant à la cause exacte de ce bris. Mais suspect que le coupable pourrait bien être l’attache de plastique (tie wrap) qui rattache ce tuyau d’essence à un tube de canalisation d’air que passe tout à côté. Peut-être que la vibration du moteur, continuellement transmise au tube à essence par une attache de plastique (tie wrap) trop serrée attachée tout près de son point d’accouplement au filtre (fixé plus rigidement), pourrait à la longue l’avoir usé et coupé. Cette hypothèse reste évidemment à être confirmée mais semble bien défendable.
Je joins à mon message quelques photos :
1- La photo de la fuite d’essence avant réparation
2- La photo du tuyau et de son enveloppe protectrice défectueuse


J’en profite pour vous partager des photos de l’avion demandées par certains. Il s’agit d’un Pipistrel Virus SW avec moteurs Rotax 912 iS et une hélice à vitesse constante Woodcomp. Il s’agit d’un appareil avec d’excellente performance.


L’appareil est également doté d’aérofreins (hyposustentateurs) qui permettre de perde rapidement de l’altitude sans modifier les autres paramètres de vol, ce qui m’a été très utiles lors de l’atterrissage d’urgence.
Voici les spécifications détaillées : https://www.pipistrel-aircraft.com/.../virus-sw-80-100.../
À noter que la version LSA vendue aux États-Unis est beaucoup moins performante afin de se conformer à la réglementation américaine sur les ultralégers. Le Pipistrel F-FJMQ est pour sa part homologué comme construction amateur, même s’il a été construit totalement en usine en Slovénie. Cette classification ouvre plus de possibilité en termes d’utilisation (vol de nuit, IFR, etc.).
Finalement, grâce au log de vol de l’avion, enregistrée par la suite avionique Dynon, j’ai pu reconstruire mon vol en totalité. J’inclus donc le trajet sur un fond Google Earth et aussi une vidéo qui recrée le vol en entier, avec ses paramètres de vol (vitesse, altitude et trajet).
Point sur la carte google earth:
1) Réservoir gauche se vide
2) Direction Montmagny à titre préventif
3) Réalisation d’un problème : fuite d’essence
4) Panne moteur / essence vide

Recréation du vol (ajuster la vitesse du vidéo en bas à gauche)
*La panne moteur s’est produite à 180 km / 188km du trajet total
https://ayvri.com/.../mke991.../ckg34l5vv00013a6bbo909ae2...
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